Le Gout Du Risque

Perspectives, tome 2

Quand Lil Lampert rencontre Grier Dilorio au Festival du Goût de Chicago, cette aventure censée n’être qu’un bref intermède passionné devient vite plus profonde. Lil est architecte, il vit à San Francisco, il n’est là que pour quelques jours d’une visite à ses bons amis, Jody William et Clark Stevena. Il n’avait pas prévu de s’attacher à un homme plus jeune que lui, même s’il partage son intérêt pour l’art du bâtiment et la décoration intérieure. Mais dès que Lil découvre le fétichisme secret que Grier cache sous ses airs de mauvais garçon, il en veut davantage.

Extérieurement, le jeune homme affiche ses tatouages, sa Harley, sa passion du cuir et de la vitesse, mais Lil découvre en lui d’autres aspects : un homme tendre et aimant, un père responsable. Le petit Luca va bientôt avoir sept ans et Grier aimerait faire officiellement reconnaître ses droits. Il en rêve sans oser se lancer dans la bataille juridique. L’amour et les conseils de Lil l’aideront à faire des choix qui lui permettront d’envisager un avenir commun, mais aussi de réclamer la garde partagée de son fils.

Cover Artist: Reese Dante

Translator: Anne Solo


I

 

— UN VRAI paradis, tu ne trouves pas ? s’exclama Lil.

Tout en parlant, il savourait le morceau de cheesecake à la fraise qu’il venait de porter à sa bouche. Quand il n’obtint aucune réponse, il pivota sur lui-même pour regarder Jody et Clark. Il réalisa alors que leur trio, une fois de plus, avait été séparé. Ce n’était pas surprenant avec la foule qui se pressait devant le stand des Cheesecakes d’Eli, un des plus célèbres pâtissiers de Chicago.

Ça avait été comme ça quasiment toute la journée, les trois hommes ne cessaient de se perdre et de se retrouver au milieu des touristes et des locaux qui affrontaient la chaleur et les longues files d’attente du festival annuel ‘le Goût de Chicago’. Quand Jody avait proposé de s’y rendre, il avait averti Lil des inconvénients tout en vantant aussi le bien-fondé de soutenir cette tradition de Chicago. Une fois par an, au cœur de l’été, des milliers de Chicagoans et autres résidents des États voisins faisaient le déplacement jusqu’à Grant Park pour l’un des plus importants festivals du Mid-Ouest – zone des États-Unis comprenant huit États, dont ceux de la côte des Grands Lacs, et la majeure partie de la Corn Belt qui débouche sur les Grandes Plaines. Des centaines d’enseignes plantaient leurs stands et offraient un large panel des spécialités gastronomiques locales, ainsi que des plats les plus exotiques introduits à Chicago par les diverses populations qui s’y étaient installées. C’était l’occasion parfaite de tout tester, avec des portions petites ou gargantuesques, en fonction de son appétit ou de son budget, tout en déambulant dans les innombrables allées bordées d’étals tentateurs. Durant la totalité des dix jours que durait le festival, de célèbres chanteurs et musiciens se produisaient à la Petrillo Music Shell et sur d’autres scènes réparties dans le parc.

La chaleur était étouffante, humide, écrasante. Avec tant de monde, il était facile de se laisser emporter par la marée humaine dont la houle incessante montait et descendait le cours des allées. Lil s’était aventuré à engloutir une grande quantité de nourriture variée, son long corps dégingandé gardant, malgré son âge, une allure adolescente. Il avait donc dégusté un épi de maïs, une tranche de pizza, du bœuf italien dégoulinant de sauce, du bulgogi (viande grillée) coréen, des rouleaux impériaux philippins ; il s’était même laissé tenter par un pilon de dinde au barbecue. Il en avait jeté la plus grande partie pour choisir plutôt un samossa ayant attiré son attention lorsqu’il passa devant un stand des Indes orientales. Il s’était attardé un moment à cet endroit, savourant un biryani aux légumes et du poulet au curry. Il apprécia l’explosion sur ses papilles des différents goûts et épices brûlantes.

Jody et Clark l’avaient suivi la plupart du temps, mais ils s’étaient ensuite aventurés dans la foule, le perdant ainsi de vue. Lil était certain de les retrouver d’ici peu. Effectivement, le couple réapparut quelques tables plus loin.

— Tu n’en as pas encore assez ? demanda Clark.

Il regarda Lil grignoter une autre part de cheesecake, cette fois au chocolat.

— Il est possible que je vomisse d’une minute à l’autre, admit l’architecte avec une grimace. Il devrait y avoir une tente prévue pour permettre aux gens de dégobiller ou de recevoir un lavement, afin de pouvoir recommencer à s’empiffrer avec une gloutonnerie incontrôlable.

Voyant Jody tendre la main pour essayer de lui voler son assiette, Lil protesta et récupéra son bien.

— Mon chou, arrête ! Qui sait quand j’aurai une autre occasion aussi belle !

— Lil, tu sais très bien que tu peux venir nous voir quand tu veux.

— Jodes, à mon dernier passage, j’ai cru tomber dans une toundra arctique. Je ne remettrai plus jamais les pieds en hiver dans cette ville, à moins que Clark participe au Super Bowl et que vous ayez une place réservée pour moi.

— Eh bien, cette possibilité reste ouverte.

— Regarde un peu cet endroit ! s’écria Lil en scrutant la foule.

La plupart des gens, pour tenter de lutter contre les rayons accablants du soleil, portaient des tenues légères : shorts, débardeurs, haut de maillot et pantacourts.

Lil reprit :

— Il est difficile de croire combien il fait froid ici en hiver quand on affronte une chaleur pareille.

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