Qui Es-tu Chyna ?

Perspectives, tome 4

À l’approche de son quarante-cinquième anniversaire, Lil Lampert éprouve une terrible anxiété de vieillir. Pour l’aider à retrouver goût à la vie, son partenaire, Grier Dilorio, lui propose un voyage en amoureux en Italie. Cette absence tombe plutôt mal, car leur fils, Luca vient d’entrer à l’école secondaire. Il est confié à ses oncles d’adoption, Clark Stevens, des Chicago Bears, et Jody Williams.

Grandir entre deux couples gays a donné à Luca une perspective de la vie assez unique, sans pour autant lui permettre de répondre aux questions qu’il se pose concernant son orientation sexuelle. Après plusieurs années d’un béguin secret pour son meilleur ami, Chip Davidson, voilà que Luca s’intéresse à sa jumelle, la rousse Chyna. Alors qu’il se croyait gay, peut-être est-il bisexuel finalement.

Chyna est né intersexué, c’est-à-dire avec un rare syndrome génétique d’ambiguïté de genre. Biologiquement, c’est un garçon, mais sa mère, troublée par une crise de dépression post-partum, l’a déclaré à la naissance en tant que fille et l’élève depuis lors dans le mensonge. La puberté arrivant, Chyna a de plus en plus de mal à dissimuler son secret, d’autant plus que sa forte attirance pour Luca lui déclenche d’étranges réactions.

Luca saura-t-il, malgré sa jeunesse, accepter une vérité troublante et aider Chyna à découvrir sa véritable identité, ou bien va-t-il renoncer au premier écueil et réduire à néant le rêve de bonheur d’un adolescent à la dérive ?

Cover Artist: Anne Cain

Translator: Anne Solo

 


I : Un garçon et une fille

I

DÉBUT SEPTEMBRE, une vague de chaleur inattendue frappait l’Illinois. Sur le terrain de sport, l’humidité et les températures étouffantes aggravaient la tension des entraîneurs et des joueurs. Dans de telles conditions, le dernier entraînement avant le match du lendemain serait difficile.

Quand le jeune Luca Dilorio apparut avec un œil au beurre noir et un tee-shirt à manches longues au lieu de son débardeur habituel, tous les regards se braquèrent sur lui.

Pendant l’échauffement, la sueur coula sur son dos, plaquant contre sa peau le tissu de son tee-shirt et ajoutant à son supplice. Son œil qui palpitait au rythme des battements de son cœur le démangeait terriblement. Dès que les joueurs eurent une pause pour se désaltérer, Luca arracha son tee-shirt avec un soupir de soulagement. Malheureusement, l’entraîneur Taggart aperçut alors les griffures sur ses bras et l’attira derrière les gradins pour un interrogatoire au troisième degré. Luca l’avait déjà vu utiliser cette technique sur d’autres joueurs, mais sans trop y prêter attention. Jamais il n’avait donné à son coach une raison de le prendre à part. Aujourd’hui, cependant, c’était différent.

— Tu mens ! jeta l’entraîneur après avoir écouté ses explications laborieuses. Dis-moi la vérité ou je mènerai mon enquête.

— J’ai juste reçu un coup de coude, Coach. C’était un accident.

— Je ne te crois pas, Dilorio.

Pour ne pas empirer son cas, Luca ravala une dénégation indignée. Il tentait seulement de ne pas faire un drame de son coquard et ne comprenait pas du tout le scepticisme de son entraîneur. Jusqu’à ce jour, tous les adultes de son entourage avaient toujours cru en sa parole. Sans doute son visage était-il révélateur, car Luca ne savait pas mentir. Chaque fois qu’il s’y risquait, il devenait rouge comme une pivoine. Et Taggart n’avait rien d’un imbécile.

— Avoue, ou j’appelle ton père.

— Ils sont tous deux à l’étranger.

— Tu es chez ta mère ?

— Non, elle est aux Philippines avec mes grands-parents, mon beau-père et ma petite sœur. Ils reviendront dans trois semaines.

— Alors qui te garde, bon sang ?

— J’ai presque quinze ans, s’offusqua Luca. Je n’ai pas besoin d’être gardé.

— Je ne disais pas ça au sens littéral.

— Ah…

— J’ai simplement du mal à croire que tes parents t’aient laissé seul pendant un mois sans la supervision d’un adulte.

— Je suis chez mes oncles.

— Lesquels ? insista Taggart.

— Clark Stevens et Jody Williams.

Le visage de l’entraîneur s’illumina. Il avait reconnu le nom de la star des Bears – l’équipe de football de Chicago.

— Sans blague ?

— Oui.

— Bon à savoir. Revenons-en à notre problème.

— Il n’y a pas de problème, protesta Luca.

Il tourna la tête vers le parking, qui était séparé du terrain d’entraînement par un grillage. Taggart suivit son regard et aperçut un adolescent dégingandé dont le visage était partiellement recouvert par le capuchon de son sweat gris.

— N’est-ce pas Chip Davidson ?

— Si.

— Pourquoi ne s’est-il pas inscrit dans notre équipe ?

Luca haussa les épaules.

— Pourquoi ne pas lui poser la question ?

— Je croyais qu’il était ton meilleur ami.

— C’est vrai, depuis que nous nous sommes rencontrés quand j’avais dix ans.

— Il a joué pendant des années dans les minimes de la ligue Pop Warner, alors je trouve vraiment étrange qu’il ne continue pas à l’école secondaire. J’aurais bien besoin de lui. Il surveillait bien tes arrières.

— Je sais.

— Alors, pourquoi ce revirement ?

— Ce n’est pas à moi de le dire.

Taggart grogna.

— Peuh !

— C’est vrai, quoi ! marmonna Luca.

— Tu t’es battu, reprit l’entraîneur. Je veux savoir d’où te vient ce coquard.

— Je ne me suis pas battu, je suis seulement intervenu dans une… dispute pour tenter de les séparer.

— Personne ne t’a appris que c’est toujours le bon Samaritain qui finit cabossé ?

Le silence buté de Luca sembla énerver son entraîneur.

— Tu es certain qu’il ne s’agit pas d’un problème avec les autres ?

— Oui, sûr et certain.

— Ils ne t’ont pas charrié sur les gays ? insista Taggart.

Luca leva les yeux au ciel. Puis il maîtrisa sa frustration et répondit les dents serrées, en petites phrases saccadées :

— Vous aurez peut-être du mal à le croire, Coach, mais la guéguerre hétéro vs homos, ça date un peu. Je me demande bien pourquoi tout le monde me demande si j’ai été agressé par un homophobe chaque fois que j’ai un genou écorché ou un coquard ! Les ados se querellent pour tout et n’importe quoi. Et je vous assure que les autres sont bien plus ouverts d’esprit que vous semblez le penser. Ils se fichent bien de qui couche avec qui, tant que ça reste discret.

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